mercredi 26 septembre 2012

Le plaisir est-il le moteur indispensable d’une pratique durable ?

Le plaisir est-il le moteur indispensable d’une activité physique durable ?

Pleasure Machines


Merci à Damien Boukhsou qui a accepté avec plaisir de répondre à cette problématique en apportant son regard de préparateur mental.

Tout le monde aime se faire plaisir, et chacun d’entre nous recherche ce plaisir à travers de nombreuses activités et situations. La pratique sportive est l’une de ces activités où on y vient et on y reste avant tout pour le plaisir qu’elle nous procure. 
Pourtant certains sportifs semblent prisonniers de leur pratique, malgré une absence de plaisir. D’autres encore font du sport « parce qu’il le faut », par obligation. Comment une pratique loisir peut-elle se transformer en prison dorée ? Une pratique sportive sans plaisir peut-elle être santé ? Et peut-elle être durable ?

Pour mieux comprendre l’origine du plaisir dans la pratique sportive, nous devons nous plonger dans l’origine même du plaisir humain. Le plaisir est le contraire de la douleur et correspond à un état émotionnel agréable né spontanément de la satisfaction d’un désir. C’est donc un état de détente faisant suite à la décharge de tension (S.Freud). Cette tension « psychologique »  se révèle le plus souvent sous la forme d’une frustration, d’une épreuve, d’un effort, etc. Ainsi plus le plaisir est grand, plus le désir qui le précède a été fort, intense et frustrant. Par conséquent le plaisir est le fruit d’une frustration liée à la non-réalisation temporaire d’un désir.
Je désire ardemment manger du chocolat, cette envie est très forte ! Mon plaisir sera d’autant plus grand lorsque je mangerai du chocolat que ce désir aura été long et donc frustrant pour moi. Quelle belle jambe ! Ainsi pour me faire plaisir il faudrait que je sois frustré auparavant ?!

Oui et non… Car il existe deux formes de plaisir différentes et complémentaires ! L’une sera très intense et courte, l’autre sera durable mais de moindre intensité.

Le plaisir court et intense, fruit d’une frustration ou d’un effort.


Nous vivons de manière à être en perpétuel mouvement en alternant sensations positives et négatives, entre plaisir et frustration, entre la possibilité et l’impossibilité. Ce mécanisme conscient et inconscient de régulation de nos émotions, de nos désirs, nous emmène à être en constante recherche de plaisir par l’assouvissement de nos envies. Mais attention cette sensation de plaisir n'est qu'éphémère ! La raison en est simple : une frustration est liée à un moment pendant lequel on ne peut pas atteindre l'objet de son désir. Lorsqu'on l'atteint, le plaisir intense se crée et se fait ressentir. Mais ce plaisir s’éteint rapidement et laisse place à une nouvelle frustration, ou envie. C’est la raison pour laquelle l’homme se cherche et se teste tout au long de sa vie par d’incroyables défis. Vous l’avez compris, l’intensité du plaisir est directement reliée à la frustration, ou à l’effort qu’a nécessité le désir initial. Pour un plaisir équivalent, et d'autant plus pour un plaisir encore plus grand, il faut donc un défi qui dépasse le précédent. Voici une des raisons de la course à la performance, au dépassement, au « toujours plus ».

Un sportif en est le parfait exemple et l'entraînement/la compétition véhiculent parfaitement cette idée de frustration et de plaisir. En effet ils peuvent  être perçus et vécus par le sportif comme une frustration mais le résultat de cet effort peut engendrer un véritable plaisir ! On peut prendre deux illustrations :

L'athlète qui consacre sa vie à un objectif très relevé et lorsqu'il l’atteint c'est l’apothéose ! On le remarque souvent chez les sportifs de haut niveau lors de médaille prestigieuse. Mais nous avons tous notre Everest, nos JO et nos rêves !
Le sportif pendant un tournoi qui va se surpasser, aller au-delà de ses douleurs, de ses limites et atteindre l'objectif souhaité, espéré... La réussite de cet objectif lui procurera un plaisir intense fruit de la lutte nécessaire pour arriver à son but.
Le  plaisir provient donc principalement (mais pas uniquement) du fait que tous n'est pas atteignable dans l'immédiat et que chaque chose demande effort et/ou patience pour l'avoir. Plus le temps et l'effort sont longs et intenses plus le plaisir en sera important !



Le plaisir durable et quotidien : il nait dans l’instant présent.


Le plaisir nait aussi de l’instant présent comme il s’offre à nous sans aucune contrainte, ni pensée, ni jugement. On retrouve beaucoup ce principe dans la pratique de sports comme la course à pied lorsqu’on s’évade de toutes les contraintes qui nous entourent et nous préoccupent.

La variété des stimuli qui nous sont proposés à chaque instant, les perceptions que nous en avons et les réponses variables que nous leur apportons permettent à l’être humain une multitude de plaisirs différents (en intensité et en durée). Ces plaisirs du quotidien sont à disposition tout autour de nous et ne demandent qu'à être récoltés. Pour cela nous devons leur accorder de l'attention et vivre chaque instant sans penser à demain, à hier, ... Vivre l'instant présent

 Le plaisir, quel plaisir ?


Les réponses physiologiques au plaisir sont fonction de sa forme. En effet si le plaisir provient d'une frustration, celui-ci est beaucoup plus intense mais court et le résultat physiologique est un emballement des capacités psychologiques et physiologiques (tension, pleure, course, etc, etc).

Le plaisir (ici et maintenant) est un plaisir plus long mais moins intense et le résultat physiologique sera plus orienté dans une sensation de bien-être, de relâchement et d'ouverture sur le présent (avec une grande acuité sur l'environnement qui nous entoure).

Il y aurait ainsi le plaisir des sensations, de l'extraordinaire, et le plaisir du quotidien, de l'ordinaire. Le premier a un prix à payer. Connaître le juste prix et s'engager ensuite consciemment dans l'aventure est recommandé sous peine de surprises parfois violentes ! Le second nous est offert si nous voulons bien l'accueillir.


Maintenant que nous avons mieux compris le concept des plaisirs, regardons comment notre pratique sportive va s'articuler autour de notre recherche de plaisir.
Au départ, nous commençons une activité physique pour répondre à un besoin et/ou à une envie. Derrière cela il y a une recherche de plaisir que ce soit à terme (à l'atteinte d'un objectif) ou au quotidien. Nous cherchons donc une activité physique nous permettant de réguler « nos tensions » ou pulsions et/ou une activité qui nous permette d’être totalement plongés dans l’ici et le maintenant (le présent). 

Je commence une activité physique car elle va améliorer ma vie et/ou car elle est plaisante et sympathique.

La poursuite ou non de l’activité physique est directement reliée au plaisir qu’on y retrouve. Si ce plaisir n’est plus assez intense ou absent, nous modifierons notre pratique pour obtenir le plaisir que nous voulons. Cela passe par plus d’efforts et de désirs (par la définition d’un objectif plus ambitieux) ou par le changement même de l’activité sportive. On s’aperçoit ici que la recherche de ce plaisir court et intense est sans fin et peut aboutir à des comportements dangereux, notamment pour notre santé physique et mentale.

Mais ce n’est pas tout car le plaisir n’est pas le seul moteur d’une activité sportive. Certaines personnes (de plus en plus) s’enterrent dans une pratique qui n’est pas la leur, sans plaisir et se détruisent pour un objectif x ou y. Comment l’expliquer ?

De nombreux facteurs interviennent dans ce concept : des facteurs sociaux (pression sociale (sur le poids par exemple), familiale, culturelle (l’échec est impossible, dépasser ses limites, …), etc.), des facteurs psychologiques (retrouver le plaisir qu'on a connu auparavant, besoin d’appartenance, besoin de reconnaissance, les habitudes sont rassurantes alors que changer peut être déstabilisant en sortant de sa zone de confort), des facteurs physiologiques (besoin "automatique" du corps) ...

La pratique d'une activité est la résultante de nombreux facteurs qui s'articulent de façon à former une alchimie bénéfique ou destructrice pour l’individu.

Le plaisir reste un élément totalement subjectif et la "destruction" de son corps peut être un plaisir... Les théories du sadochisme et du masochisme proviennent justement de là !

Beaucoup de facteurs entrent en jeu et notamment la personnalité de l'individu. Se faire mal ou faire du mal peut être un moyen d’évacuer une tension et donc de prendre du plaisir. Le franchissement de l'interdit est aussi un moyen possible de plaisir. Mais ce type de pratique a souvent comme point commun un manque ou un déséquilibre psychique.

Pour conclure, il semble qu'une pratique durable et santé repose sur le plaisir de l'instant présent. Le terme même de "pratique plaisir" pour une pratique durable est donc à préciser car une pratique plaisir qui repose uniquement sur la recherche de plaisirs courts et intenses suite à un désir/effort ou à une frustration (recherche infinie !) risque souvent d'aboutir à des excès néfastes pour l'individu.



Pour autant le plaisir court et intense n'est pas à fuir. Nous avons besoin de sortir de l'ordinaire et d'avancer vers des projets ambitieux. Cela donne du sens. Gardons bien à l'esprit que le chemin pour y arriver est tout aussi source d'épanouissement que la réalisation même de l'objectif.

Le plaisir est un tout et c'est la combinaison des plaisirs qui permet une véritable pratique plaisir, durable et santé.